C'était l'un des objectifs de l'Europe dans son grand chantier de la taxe carbone: encourager ses partenaires à suivre une voie similaire, sous peine de devoir payer pour exporter des produits très polluants dans l'Union européenne. A l'heure de l'entrée en phase définitive de son Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) le 1er janvier, l'UE a favorisé l'accélération ailleurs dans le monde de réglementations sur le carbone, reconnaissent plusieurs experts, bien que certains pays restent très critiques.
( AFP / HUSSEIN FALEH )
La taxe carbone, qu'est-ce que c'est?
Pour verdir ses importations, l'Union européenne a mis au point son MACF (CBAM en anglais) visant à faire payer aux importations polluantes provenant de l'extérieur de l'UE un prix au carbone, comme les entreprises le font déjà au sein de l'Europe avec un mécanisme de droits à polluer.
La réforme entend donc "ajuster" d'un prix du carbone des marchandises dont la production ou l'utilisation est fortement émettrice de gaz réchauffant l'atmosphère, qui entrent dans l'Union, notamment dans les secteurs de l'acier, l'aluminium, ou les engrais.
Là où certains concurrents de l'UE crient au protectionnisme commercial, l'Europe répond qu'elle promeut une politique vertueuse: adoptez votre propre taxe carbone sur ce qui est produit chez vous et vous aurez peu voire rien à payer, dit-elle à ses partenaires, car la redevance ne doit pas être payée deux fois.
"Mettre un prix sur le carbone est une voie que nous devons explorer avec autant de monde que possible, dès que possible", a ainsi martelé le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra, durant la conférence internationale sur le climat COP30 au Brésil en novembre.
Cela a-t-il encouragé les autres?
Après avoir été fortement critiquée, l'UE bénéficie déjà d'un effet d'entraînement, de l'avis de plusieurs experts interrogés par l'AFP.
"Entre l'année dernière et cette année, nous avons constaté un grand changement", affirme Aurora D'Aprile, coordinatrice d'un rapport sur les réactions internationales au MACF pour l'organisme International Emissions Trading Association (IETA).
"Plusieurs partenaires commerciaux clés de l'UE ont activement étendu leur système de tarification du carbone, comme la Chine, ou ont lancé un système d'échange de quotas d'émission après plusieurs années de préparation" , poursuit-elle, à l'image de la Turquie.
D'autres ont nommément cité le MACF pour avancer en la matière, comme le Japon, relève Nicolas Berghmans, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), à Paris.
Certains pays envisagent aussi de mettre en place leur propre mécanisme sur le modèle européen, à l'instar du Royaume-Uni et du Canada.
Le mérite ne revient pas qu'à l'UE mais son projet "a raccourci les délais et accru l'importance politique" de s'adapter, fait valoir Marios Tokas, avocat spécialisé en commerce au cabinet international Cassidy Levy Kent, basé à Bruxelles, étant donnée la taille du marché européen.
Qui est contre?
Le mécanisme européen rencontre aussi de vives oppositions, au premier rang desquelles la Russie, qui a saisi l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en estimant que la politique contrevient aux principes du commerce international.
Pékin et ses alliés des économies émergentes, critiques des taxes carbone aux frontières dans lesquelles ils voient notamment une mesure protectionniste, ont de leur côté obtenu à la COP30 de pouvoir discuter de commerce dans le cadre des négociations internationales sur le climat.
Mais "les critiques formulées à l'échelle internationale ne signifient pas que les mesures de conformité ou d'adaptation sont laissées de côté", glisse Aurora D'Aprile en prenant l'exemple de la Chine. Là-bas, le développement du marché du carbone a été "conçu pour s'aligner" avec la nouvelle réglementation européenne, met-elle en avant.
Est-ce une victoire de l'UE?
"C'est un succès politique", dit à l'AFP Georg Zachmann, spécialiste des politiques énergétiques et climatiques européennes à l'institut bruxellois Bruegel.
Avec toutefois des zones d'inconnues selon lui: la question de l'efficacité des autres politiques sur le carbone et du nombre de pays qui s'engageront à terme sur cette voie.
"Je serais prudente avant de crier victoire", tempère Aurora D'Aprile. "Il a été très complexe pour la Commission européenne de mettre au point les règles d'application définitives, et ce n'est pas terminé", ajoute-t-elle. Pour Nicolas Berghmans, "il y a tout un enjeu sur l'interopérabilité des systèmes dans les années qui viennent". Selon lui "il va falloir accompagner les progrès d'un effort diplomatique important".
8 commentaires
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer